La Formation de la Sphère Artistique
Nildo Viana
Cet article traite du processus
historique de formation et de consolidation de la sphère artistique qui se
produit en même temps que le développement capitaliste et l’altération des régimes
d’accumulation. Pour autant, il sera nécessaire, d’abord , de définir les
concepts d’art et de sphère artistique puis d’analyser le processus de
constitution de cette sphère dans sa relation avec l’évolution des régimes
d’accumulation.
Les concepts d’art et de sphère artistique
L’art est considéré comme une production
humaine fort ancienne. Quelques-uns sont arrivés à penser que son existence
date de ce qu’on appelle “la préhistoire”, d’autres observent à ce moment son
début. L’art, compris comme “œuvre d’art”, nait avec le développement de la
société et se consolide grâce à l’apparition des sociétés de classes. Sans doute,
pour savoir quand est apparu l’art, il faut définir ce que l’on veut dire en
utilisant ce concept. C’est justement à cause de cette imprécision conceptuelle
ou de faux concepts[1] qu’on peut
penser que l’art est quelque chose qui a toujours existé.
Un anthropologue nous donne un bon
exemple d’un tel concept:
Les valeurs de l’art contrastent
fortement avec les valeurs de l’Économie. On dit habituellement que l’activité
économique est une nécessité, mais que l’art est un luxe. Cependant, nous
pouvons affirmer empiriquement l’universalité de l’art dans l’histoire sociale
de l’homme. L’homme paléolithique, il y a dix mille ans ou plus, avait ses
statuettes et ses peintures rupestres, dont quelques-unes sont arrivées jusqu’à
nous, possèdent une telle maestria esthétique et une habilité dynamique qui
provoquent l’admiration des artistes modernes. Même dans les milieux naturels
les plus inhospitaliers, on a produit de l’art.Les Bochimans du désert du Kalahari
ont fait leurs dessins d’animaux et d’hommes, dans un style austère, mais vécu
. Les Esquimaux ont leurs sculptures en ivoire d’hommes chassant, dansant et
jouant du tambour. Les aborigènes d’Australie ont des sculptures simples en
pierre et des peintures d’animaux sur les murs de pierre, des dessins
géométriques peints sur du bouchon ou gravés sur des coquillages, et une
variété de normes élaborées de décoration cérémoniale avec des plumes et des
peaux d’animaux. Il est facile, cependant, de récuser l’idée de que, à des
époques primitives de l’existence de l’homme, le thème de la subsistance a dominé
leur vie à point d’exclure les arts (FIRTH, 1974, p. 174).
Ici nous observons une conception selon
laquelle l’art accompagne l’histoire de l’humanité, étant présent dans les
simples sociétés ( ou « primitives » )[2].
Cependant, une telle conception se sustente seulement à partir d’une définition
déterminée de l’art. Firth nous présente une discussion exhaustive et ne s’approfondit
pas sur son concept de l’art, mais nous fournit une définition qui justifie son
affirmation :
Une œuvre d’art fait une sélection d’éléments
de l’expérience, de l’imagination et de l’émotion, et le fait d’une telle
manière que son expression formelle et sa distribution provoquent en nous
différents types de réactions, d’évaluations basées en nuances de sentiments
que nous appelons esthétiques. Quand une œuvre d’art est jugée esthétiquement –
et elle peut être jugée du point de vue économique, politique ou religieux – elle
est considérée généralement en relation à ses qualités formelles : l’arrangement
de ses lignes, de ses masses, des couleurs, des sons, du rythme (FIRTH, 1974,
p. 175).
La définition de l’art présentée par
l’auteur renvoie seulement à l’aspect formel et technique. Cependant, cette
définition de l’art est trop ample et ne considère pas la réalité du phénomène
artistique.Elle n’aborde pas le contenu de l’art.L’art est une expression
figurative de la réalité (VIANA, 2007b) et cela signifie qu’elle exprime sous
une forme figurée une réalité déterminée. Cette forme figurative manifeste son
essence : l’art est une production humaine fictionnelle, dans laquelle les
êtres humains créent une réalité fictive intentionnelle d’une manière consciente.
Le caractère intentionnel et conscient fait l’art diverger d’autres
manifestations qui possèdent des aspects formels semblables. C’est le cas du
supposé “art primitif”. L’art primitif est une expression symbolique de la
réalité que l’on ne voit pas comme fiction, comme création figurative intentionnelle
et consciente. Il est produit d’après les croyances que le symbole puisse
affecter le réel, comme quelque chose qui permet de contrôler ou d’influencer
la réalité. Le propre Firth nous fournit des informations à ce sujet :
Mais il existe la question de savoir
comment les arts sont réellement vus par ceux qui se dédient à eux comme une
contribution pour la subsistance. Jusqu’à quel point la préoccupation évidente
dans l`art représentant des animaux , des oiseaux et d’autres composants du
milieu naturel suggère que l’homme primitif a été préoccupé par des valeurs
magiques, des valeurs totémiques– pour préserver la vie en général, ou pour la
maintenir, en lui fournissant de la nourriture ? Le problème peut être posé
d’une autre forme: jusqu’à quel point la sculpture ou la peinture de ce type
signifie la reconnaissance de l’art comme une catégorie d’idées à part ou
seulement un département ou un sous-produit de l’activité économique ou sociale
? (FIRTH, 1974, p. 174-175).
Bon, Firth comprend que l’art est
quelque chose à part et pour justifier cela il pose la question des valeurs
esthétiques qui renvoient au problème de la technique et de la forme. Ici nous
avons encore un exemple de préjugé ethnique :il ne démontre pas seulement une évaluation
de l’art, mais considère encore que l’art spécialisé de notre société est
quelque chose de supérieur et que pour cela il est attribué aux produits
culturels des sociétés simples.Les dessins faits dans les cavernes, les
intonations sonores des indigènes[3],
ne constituent pas des œuvres d’art, car l’objectif était magique et/ou
utilitaire, comme la danse de la pluie n’est pas une expression figurative de la
réalité et si une expression symbolique non séparée des autres activités
humaines, ce qui arrive seulement lors de l’expansion de la division sociale du
travail dans les sociétés classiques et plus encore dans la société capitaliste.
L’objectif de la danse de la pluie n’est pas la création d’une expression figurative
de la réalité et si d’ influencer la nature et promouvoir la pluie.
De cette forme, l’art est une expression
figurative de la réalité, ce qui suppose l’intentionnalité et la conscience de
son caractère fictionnel et, cependant,il surgit à un moment déterminé et
historique de l’histoire de l’humanité. La société esclavagiste grecque est le
lieu où se consolide ce processus de production d’œuvres artistiques et le
théâtre grec est un des grands exemples de ce processus. Les pièces d’ Eschyle
et de Sophocle, pour ne citer que deux grands noms du théâtre grec , sont des œuvres
d’art, des expressions figuratives de la réalité. La division sociale du
travail a permis la formation d’une activité spécifique qui permettait le
développement de la créativité. À partir de l’expression symbolique de la
réalité existante antérieurement (spécialement le mythe, base des pièces théâtrales
grecques et d’autres expériences artistiques de l’époque) et des possibilités
créées par une société fondée sur le travail esclave et sur une plus ample
division sociale du travail surgit l’art proprement dit. Cependant, la division
sociale du travail était encore limitée et ne constituait pas encore la sphère
artistique. Pour cela il est important de distinguer l’art et la sphère
artistique. L’art d’une société déterminée est l’ensemble des expressions
figuratives créées dans son intérieur et chacune de ses expressions est une œuvre
d’art. Ainsi, nous utilisons le terme art comme manifestation particulière, l’œuvre d’art et comme ensemble des œuvres d’art. L’œuvre d’art
exprime figurativement une réalité déterminée, ce qui signifie que toute la
production artistique est consciente de son caractère fictionnel et le fait
intentionnellement.
L’art peut être compris comme œuvre
d’art ou art en général, ou , encore, comme une sphère spécialisée en
production artistique. C’est dans ce contexte que le concept de sphère
artistique devient important. Le concept de sphère artistique renvoie au
processus d’expansion de la division sociale du travail et de la création des
formes de travail improductif qui composent les formes de régularisation des
relations sociales. À cause de l’apparition des formes capitalistes de
régularisation des relations sociales, marquées par un processus de
spécialisation continue et de mercantilisation a lieu la professionnalisation
de diverses activités improductives[4].
L’art, la religion, la philosophie,etc. vont être autonomes et se séparer, ce
qui permet la formation ou la séparation d’institutions spécialisées.L‘intellectualité
commence à apparaître comme groupe social et postérieurement devient une classe
sociale, dont les artistes font partie.
Et dans ce contexte apparaissent
les sphères sociales que représentent les sous-divisions dans la division
sociale du travail intellectuel[5].
Le concept garde des similitudes avec l’affirmation de Marx selon laquelle
surgit “l’art proprement dit” comme produit de la division sociale du travail. Il
s’agit d’une sous-division de la grande division sociale du travail qu’ont
constitué les classes sociales. Dans ce contexte apparait la sphère juridique, la
sphère scientifique, la sphère artistique, la sphère politique, entre autres.
Ce que Marx a abordé comme étant l’aspect de l’expansion de la division sociale
du travail, Max Weber l’appellera “sphères” (1971) et, postérieurement,
Bourdieu (1992) l’appellera “champs” (et elle a déjà été appelée “monde”, “ordres”,
etc.). Dans ces diverses sphères, nous avons la sphère artistique, composée par
la catégorie professionnelle des artistes, ou soit, une fraction de la classe
de l’intellectualité, classe sociale spécialisée sans le travail intellectuel
improductif. Chaque sphère de la vie sociale crée ses propres valeurs, ses
formes de légitimation, ses intérêts spécifiques (alliés des intérêts généraux
de la classe à laquelle elle appartient), etc. Une des caractéristiques de ce
processus est la création d’un monde hermétique qui se prétend accessible
seulement aux spécialistes qui font partie de la sphère ou de la sous-sphère[6].
En synthèse, les sphères sociales sont des produits et des manifestations de la
division sociale du travail, constituées par des activités spécialisées de
travail improductif qui composent les formes capitalistes de régularisation des
relations sociales. La sphère artistique, par conséquent, est la manifestation
d’une sous-division du travail improductif spécialisée dans la production
artistique réalisée par les artistes.
La Formation de la Sphère Artistique
La sphère artistique surgit avec
la société moderne. La formation de la société capitaliste à partir de
l’expansion de la division sociale du travail et de la mercantilisation permet
le surgissement d’individus spécialisés dans la production artistique. L’œuvre
d’art perd sa valeur d’utilisation et passe à avoir une valeur d’échange et sa
séparation en relation à la religion – à laquelle elle était subordonnée dans
la société féodale (DILTHEY, 1992) – promeut la création d’individus qui se
dédient d’une forme amateure à la production artistique, mais qui cherchent doucement
leur processus de professionnalisation. À partir du 16e siècle, grâce au
surgissement du capitalisme commercial, marqué par la prédominance du capital
commercial qui privilégie le capital industriel, commence à se former la sphère
artistique. Avant cela existaient l’art sacré et l’art amateur encore mélangé
avec les autres activités humaines et les productions culturelles.
Le capitalisme commercial était
caractérisé par la domination du capital commercial et l’accumulation primitive
de capital, par l’intermédiaire du système colonial et de la formation de
l’état absolutiste. Une telle domination du capital commercial a été fruit de
l’expansion mercantile. Dans ce contexte, la bourgeoisie en formation n’avait
pas encore le pouvoir sur l’état ni l’hégémonie culturelle et la noblesse
perdait lentement sa force et son pouvoir financier. Dans ce contexte, l’art
dominant était l’art courtois et en procès de formation de la sphère artistique.
Le théâtre, la musique, entre autres manifestations artistiques commencent leur
processus de spécialisation et d’autonomie. Cependant, la suprématie était
encore de la noblesse et l’art courtois était sa forme prédominante. En plus,
la forme de ‘rémunération prédominante était le mécénat. La dépendance de
l’artiste vis-à-vis du mécénat, celui-ci étant Médicis, Marques de Pombal ou
n’importe quel autre, se révèle dans le processus dans lequel les artistes ne
possédaient pas encore de grande indépendance ni d’autonomie, bien qu’ils aient
déjà commencé le processus de spécialisation et de séparation, mais sous le
signe de la subordination à la noblesse.
Les propres métamorphoses dans le
mécénat révèlent de subtils changements de pouvoir. Dans le plus charismatique
et référentiel des Médicis, le collectionnisme est l’un d’eux, se basant sur
des caprices de goût, mais recherchant déjà ce que les artistes ont à leur
offrir. Parmi d’autres protectorats, Francesco II (règne de 1574 à 1587) réunit
une grande partie des peintures et des antiquités de la famille dans une “longue
rangée cumulative comme collection” et, “psychologiquement, ça a été un
turning-point dans l’histoire du mécénat des Médicis. Rassembler des œuvres en
galeries comme Francesco a fait à la galerie Uffizi est penser historiquement,
mais pour s’approcher des peintres qu’attendre qu’ils s’approchent de lui – tel
comme Francesco s’est approché de Barrocci, qui le connaissait seulement de
réputation. L’ensemble notable de la collection Medicis qui se trouve à la
galerie Uffizi et au Palais Pitti est dû en grande partie à la politique de
choix délibéré introduite par Francesco.” Au XVIIIe siècle, Ferdinand II serait,
comme collectionneur, “le plus perceptif et délibéré des Médicis et
probablement le seul qui mérite sa réputation de connaisseur” (CONDE, 2012, p. 8).
La renaissance, le rationalisme et
l’illuminisme marquent un processus progressif de structuration de quelques
sphères sociales, incluant l’artistique. Au 16e siècle régnait l’amateurisme, remplacé par la
production plus artisanale au 17e siècle, jusqu’à arriver à la forme semi-professionnelle
du 18e siècle et ces changements sociaux dans le processus de constitution de
la sphère artistique se produisent aussi sur le plan de la production
culturelle, des représentations et des idéologies qui vont surgir.
Le passage de l’accumulation
primitive à l’accumulation capitaliste proprement dite, par l’instauration du régime
d’accumulation extensive, marque quelques altérations dans la sphère artistique
et commence son procès d’autonomisation sous une forme plus ample. La
bourgeoisie possède déjà, à ce moment,la suprématie financière et les relations
de production capitalistes sont déjà principalement quantitatives dans certains
pays.Le processus d’expansion des relations de production typiquement
capitalistes est la force de la bourgeoisie comme classe montante ont des effets
dans la vie culturelle en général,aussi bien que dans la politique,qui se concrétisera
dans le processus des révolutions bourgeoises. La cour à la mode ancienne est
remplacée par les salons (HAUSER, 1972).
La sphère artistique, dans ce contexte, gagne plus d’autonomie, se renforce, et
apparaissent les mouvements artistiques plus organisés, avec en évidence le
romantisme (HAUSER, 1972).
Le développement capitaliste
promeut une plus grande augmentation de la division sociale du travail et de la
spécialisation,en constituant de
nouvelles classes sociales, des institutions et des catégories professionnelles.
dans ce contexte, la sphère artistique gagne une plus grande autonomie selon Bourdieu:
“... Le processus de la production
intellectuelle et artistique est lié à la constitution d’une catégorie
socialement distincte d’artistes ou de professionnels intellectuels, de plus en
plus enclins à prendre en considération les règles établies par la tradition proprement
intellectuelle ou artistique héritée de leurs prédécesseurs et qui leur fournit
un point de départ ou un point de rupture, et chaque fois plus enclins à
libérer leur production et leurs produits de toute et n’importe quelle
dépendance sociale, soit des censures morales et des programmes esthétiques
d’une église engagée dans le prosélytisme, soit des contrôles académiques et
des commandes d’un pouvoir politique enclin à considérer l’art comme un
instrument de propagande. Un tel processus d’autonomisation ressemble à ceux
qui ont eu lieu dans d’autres champs comme le droit et la religion. Dans une
lettre adressée à Conrad Schmidt, Engels
observe que l’apparition du droit comme tel, ou c’est à dire, comme ‘sphère
autonome ’, accompagne les progrès de la division du travail qui conduisent à
la constitution d’un corps de juristes professionnels. Selon Weber, en Économia
et en Société, la même chose se passe dans la rationalisation de la religion’
dont l ‘autonormativité’ propre, relativement indépendante des conditions
économiques (qui ‘agit sur elle seulement comme ‘lignes de développement ’) se
doit au fait qu’elle dépend fondamentalement du développement d’un corps
sacerdotal, doté de tendances et d’intérêts propres. De la même manière, le processus conduisant à
la constitution de l’art comme tel est lié à la transformation de la relation
que les artistes maintiennent avec les non-artistes et par cette voie, avec les
autres artistes, résultant dans la constitution d’un champ artistique
relativement autonome et dans l’élaboration simultanée d’une nouvelle
définition de la fonction d’artiste et de son art. (BOURDIEU, 1992, p. 101).
La consolidation de la sphère artistique
La consolidation de la sphère
artistique a lieu pendant le régime d’accumulation intensive, qui se produit
quand Bourdieu observe l’origine du “champ artistique” (1996)[7].
Les luttes ouvrières ( dont le plus grand exemple fut la Commune de Paris en
1871), la réduction de la journée de travail, etc., ont marqué le processus de
constitution de ce nouveau régime d’accumulation dont la domination bourgeoise
était déjà consolidée et les classes décadentes vaincues, la dynamique de la
lutte des classes passe à être fondamentalement entre la classe capitaliste et
le prolétariat. Le capitalisme augmente
la société civile et ses formes de régularisation, en déplaçant une quantité de
plus en plus grande de personnes vers le travail salarié improductif. L’état
grandit de plus en plus, ainsi que ses institutions (telles les écoles, les universités, etc.), en
créant de nouvelles sphères sociales, ainsi que d’autres qui augmentent ou se
consolident.
Par conséquent et en même temps,
la division sociale du travail s’amplifie encore plus, le processus de
spécialisation et tout ce qui l’accompagne ( rationalisation, bureaucratisation,
mercantilisation ), en promouvant une expansion et une spécialisation du travail
intellectuel, en gérant une plus grande autonomisation des sphères sociales, comme
celle qui se passe dans la sphère artistique. Le surgissement des universités
modernes, du positivisme et de la consolidation de la sphère scientifique (
ainsi que d’autres ), marquent les innovations, inclusive même de valeur et
d’idéologie. La sphère scientifique, sphère par
excellence de la production idéologique dans le capitalisme, produira son
autolégitimation avec beaucoup plus de quantité et de systématicité, par
l’idéologie de la neutralité scientifique, de la séparation entre“faits” et “valeurs”
et de la création de son propre “cosme de valeurs”, pour utiliser une
expression weberienne (WEBER, 1971). Dans ce contexte, les instances de
formation et de reconnaissance, les idéologies et les représentations, etc., les
sphères sociales, ce qui se passe aussi pour la sphère artistique se
consolident[8].
Ainsi, à partir de la fin du 19e
siècle se consolide la sphère artistique, au moment où cela se passe aussi pour
d’autres sphères sociales. Son autonomisation atteint un niveau élevé grâce à
tout un processus ample de spécialisation, de rationalisation, de
mercantilisation et de bureaucratisation. la professionnalisation a lieu et l’artiste”
devient un professionnel et, dans ce contexte, son activité devient de plus en
plus rationalisée et spécialisée, en créant ses propres règles, un ensemble de
techniques et en instituant des organisations, une législation, etc., et, avec
tout ça, des valeurs propres et des idéologies. Si Flaubert et Manet ont
annoncé l’illusoire “l’art par l’art” (BOURDIEU, 1996), accompagnés par Baudelaire
et d’autres (FISCHER, 1978), et suivis par les Parnassiens, vite surgissent les
idéologues de l’autonomie de l’art qui systématisent cette fausse conscience. Les
universités créent des cours d’art et il y a une prolifération d’institutions
modernes d’enseignement de l’art.
... Dans les règles de l’art, Bourdieu
a voulu démontrer que le champ littéraire dans son sens le plus autonome est
apparu au XIXe siècle. Et que le champ littéraire — dans le sens d’un champ qui
avait une forte autonomie dans sa relation avec le monde social et global — est
apparu par le surgissement de la figure d’un créateur sans limites, d’un
artiste tout puissant ou d’une relation purement esthétique. C’est la raison
pour laquelle une première partie du livre a été dédiée au commentaire de Flaubert,
ainsi que comme le travail sur Manet que Bourdieu a terminé dans les dernières
années de sa vie, malheureusement trop brève. Il semble avoir un parallèle
possible entre l’art par l’art dans la littérature, tel comme l’exemplifie Flaubert,
et une forme de création picturale parallèle, chez des artistes comme Manet. Et
s’il y a une liaison entre ces figures, Flaubert et Manet, et l’idée de l’autonomie
du champ littéraire ou artistique au 19e siècle, c’est pourquoi, disait
Bourdieu, Flaubert autant que Manet avaient imposé une définition de l’artiste
sans dépendance, en commençant par l’absence de dépendance économique, ce qui ,
dans un certain sens, permet de penser à un champ à partir de ses propres
propriétés. Et la rupture, l’autonomie du champ , résultait, d’après Bourdieu,
de cet intense effort de la part de quelques créateurs pour rompre les formes
de la dépendance sociale et économique (CHARTIER, p. 43).
Kant, encore à la fin du 18e siècle,
annonce déjà l’idéologie de l’autonomie de l’art et ouvre le chemin pour de
nouvelles incursions philosophiques dans ce sens (malgré les critiques et les
positions distinctes ). Kant est l’idéologue de la division sociale du travail
intellectuel et en créant divers “mondes”, il naturalise et reproduit seulement
sous la forme philosophique les relations sociales marquées par la division du
travail de la société capitaliste. Grâce à ce chemin ouvert par Kant, d’autres
idéologues iront, dans la période historique postérieure, reproduire
l’idéologie de l’autonomie de l’art, tel comme Benedetto Croce, en Italie.
La consolidation de la sphère artistique
durant le régime d’accumulation intensive accompagne les changements du
capitalisme et marque la constitution d’une nouvelle génération d’artistes
formés par des valeurs, des conceptions et des idéologies déterminées. D’autres
idéologues créeront de nouvelles formes idéologiques, en maintenant les
éléments basiques du processus de telle sphère. Bien sûr qu’il y aura aussi des
critiques, car la sphère artistique reproduit la lutte des classes qui se
développe dans la société capitaliste et cela se manifeste dans son propre
intérieur, en partant de la conception de l’art, de la qualité artistique, de la
position de l’art et de l’artiste dans la société, entre divers autres aspects.
Le débat entre “l’art par l’ art” et “l’art engagé” est seulement un chapitre
de la longue histoire de la sphère artistique. Les marginaux de la sphère
artistique viennent de promouvoir une position distincte qui se réfléchit en
son for intérieur et en le faisant renforce la pression des classes explorées
dans son intérieur. Cependant, l’hégémonie appartient aux groupes élitistes de
la sphère artistique et, deuxièmement, aux groupes marchands, qui avec le temps
prennent de plus en plus d’importance[9].
Ce processus est accompagné par le
développement des mouvements artistiques et par la création des “mouvements
d’avant-garde” qui sont l’expression la plus puissante de l’autonomie relative
de la sphère artistique. L’impressionnisme, l’expressionnisme, le dadaïsme, le
surréalisme, parmi d’autres manifestations, se développent et assument un
caractère d’innovation périodique dans la production artistique. De nouvelles
sous-sphères commencent à apparaitre et à se renforcer, telles comme la sous-sphère
cinématographique et de la bande dessinée. La professionnalisation augmente, ainsi
que le processus de mercantilisation. L’œuvre d’art assume de plus en plus la
forme-marchandise et de cette manière commence à surgir la division entre l’art
érudit et l’art commercial, le premier de valeur d’échange plus élevée et est destiné
à un public bourgeois et intellectualisé, ou élitiste, et le second pour le “grand
public”, qui plus tard serait appelé de “masses”. Dans le même contexte, l’art engagé,
produit de la lutte des classes, accompagne aussi les changements sociaux et la
dispute avec les autres au droit de légitimité et de reconnaissance,ainsi comme
l’art populaire et l’art ambigu (produit par des artistes qui se trouvent entre
la sphère artistique et d’autres institutions, spécialement les partis
politiques).
Ce processus souffrira une
transformation plus radicale à cause du passage d’un nouveau régime
d’accumulation, appelé conjugué qui marque une époque de subordination
croissante de l’art au capital communicationnel, cependant,cette période
dépasse les objectifs de ce texte, qui vise à aborder seulement le processus de
formation (et de consolidation ) de la sphère artistique, qui va de
l’accumulation primitive du capital jusqu’au régime d’accumulation intensive, dans
lequel elle se consolide.
Conclusions
L’objectif de ce texte a été de
présenter la formation de la sphère artistique et son processus de
consolidation. Pour cela, nous nous sommes limités à présenter brièvement
quelques altérations dans la société capitaliste, expliquées à partir du
concept de régime d’accumulation (VIANA, 2009; VIANA, 2003), et dans la sphère
artistique. Le processus de changement de la sphère artistique renvoie au
processus de changement du capitalisme, des régimes d’accumulation. Sans doute,
quelques aspects n’ont pas été dûment abordés et ils le seront en d’autres
occasions comme lors des transformations de la sphère artistique à l’intérieur
d’un même régime d’accumulation. Cependant, nous considérons que pour les
objectifs que nous nous proposons ici – présenter brièvement le surgissement et
la consolidation de la sphère artistique – les observations faites ont été
suffisantes et seront complétées dans de nouvelles études à être réalisées.
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[1] Les
construtos sont de faux concepts et ,par conséquent, des unités d’un discours
idéologique (VIANA, 2007a).
[2] C’est
curieux comme la majorité des anthropologues , malgré leurs questions sur ce
qu’on appelle l’“ethnocentrisme”,cherche, à tout prix,à trouver des éléments de
notre société dans les sociétés simples. Il est clair que cela est à un certain
point “naturel” (un acte spontané de conscience), mais dans beaucoup de cas ,
il ne s’agit pas de référence culturelle pour se penser à l’autre et si de
vouloir intentionnellement attribuer aux sociétés simples ce qui appartient à
notre société. C’est le même cas des anthropologues proches de l’anarchisme
(CLASTRES, 1988). La motivation de ce processus est le refus du préjugé
ethnique – au lieu de l’ethnocentrisme , c’ est de notre point de vue , plus
adéquat (VIANA, 2009) –, mais pour sustenter la non-infériorité des sociétés
simples , on leur attribue des caractéristiques de notre société ce qui
signifie , à la fin , qu’ elles ne sont pas inférieures parce qu’elles nous
ressemblent .Cela révèle un préjugé ethnique implicite que combat un préjugé
ethnique explicite.
[3]
“Presque toutes les tribus étaient amies de la musique . En entonnant des
chants guerriers ou religieux , ils jouaient de la flûte de paon et du cor , pendant
que les maracas faisaient l’accompagnement” (FIGUEIREDO, 1949, p. 230). Ici se
manifeste le caractère magique ou guerrier de l’intonation qui ne se constitue
pas vraiment en “musique” proprement dite.
[4] Ici
nous utilisons le concept marxiste de travail improductif dans le contexte de la
société capitaliste qui est tout travail qui ne produit pas de plus-value (VIANA,
2012; MARX, 1988).
[5] Le
concept de sphères sociales, ainsi que leurs divisions et sous-divisions, est
abordé dans le livre As Esferas Sociais
(VIANA, 2015).
[6]
Chaque sphère particulière (artistique, scientifique, etc.) crée des
sous-sphères ,qui sont une autre division du travail à l’intérieur d’une sphère
déterminée.
[7] Cela,
signifie, par conséquent , que notre conception sur l’origine de la sphère
artistique (ce que Bourdieu appelle “champ artistique”) diffère en matière
d’époque en relation à ce que ce sociologue dit . L’origine de la sphère
artistique commence à partir du 16e siècle et se développe progressivement , vu
que ce n’est qu’au 19e siècle que se passe sa consolidation , ce qui est lié à
son intégration dans la société capitaliste et aux institutions bourgeoises .
[8] Il est évident que cela ne se passe pas
en même temps dans toutes les sphères sociales , car quelques-unes ont eu un
développement tardif et à cause de cela leur consolidation a été postérieure .
[9] Bien Sûr que les réflexions de Bourdieu sur le “champ artistique” sont intéressantes
et contribuent à la compréhension de la sphère artistique, mais elles possèdent
aussi des limites et ne considèrent pas les aspects de la réalité qui doivent
être inclus dans l’analyse et , ainsi , on observe que nous présentons des
conceptions semblables et aussi divergentes en relation à leur conception . Pour
plus de détails des limites et des divergences en relation à Bourdieu confère VIANA,
2007b e VIANA, 2015.